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Faire vivre et nourrir l'œuvre originale

Entretien avec Sébastien Daucé

Découvrez ci-dessous un entretien avec Sébastien Daucé, directeur musical de David et Jonathas, à voir à l'Opéra du 14 au 18 janvier prochain !

Voici longtemps maintenant que vous cheminez avec Charpentier. Il a fait l'objet de plusieurs de vos programmes de concerts et d'enregistrements. Qu'est-ce qui vous attache tant à ce compositeur ?

Sebastien Daucé : C’est de loin l’un des créateurs les plus attachants de l’histoire de la musique occidentale ! Son parcours hors norme, sa sensibilité infinie, la variété de ses œuvres, tout nous laisse deviner une personnalité atypique dans son siècle, toujours en recherche. C’est aussi un homme dont on ne connaît que peu de choses, mais qui nous a pourtant laissé une somme de manuscrits musicaux copiés de sa main, comme très peu de compositeurs de son temps. Et au fil de sa plume, outre la musique, des indices concernant ses interprètes, les lieux, les occasions, les manières de jouer, et une foule d’éléments le rendent très proche de nous.

Pourquoi ce souhait de jouer David et Jonathas de Charpentier ?

S. D. : Charpentier a conçu David et Jonathas dès l’origine comme un prologue et cinq actes en musique (comme une tragédie lyrique donc) s’alternant avec les cinq actes d’une pièce de théâtre, en latin. Si cette tragédie théâtrale a disparu aujourd’hui, nous avons souhaité avec Jean Bellorini conserver (et donc écrire) cette dimension théâtrale, qui donne une forme et un éclairage très particuliers à cette œuvre. Comme Rameau, Charpentier est arrivé tard à une grande forme lyrique, et c’est aussi une œuvre d’une intensité dramaturgique et musicale exceptionnelle : il semble y avoir mis toute son invention, avec une force jusque-là inédite.

Cette œuvre a été commandée initialement par le Collège Louis-Le-Grand et interprétée par des élèves : l’opéra faisait alors pleinement partie de la formation des élèves (apprendre le latin, la musique, le chant, la déclamation, le mouvement, éducation morale, etc.). Aujourd’hui, l’opéra peut-il être encore un lieu d’apprentissage selon vous ?

S. D. : L’opéra est une fiction née de l’invention humaine qui nous fait ressentir tout en plus grand et en plus intense. C’est naturellement dans ce sens que les pères jésuites de 1688 l’ont envisagé pour leurs élèves : non pas pour leur donner une leçon quotidienne comme dans les salles de cours, mais pour les impressionner, les édifier devant une tragédie des temps passés. Les ressorts qui l’animent ne sont pas ceux de l’antiquité biblique, mais ceux de l’humanité : les guerres et les conflits entre les peuples écrasant au passage des destinées individuelles sans que personne ne voie vraiment de sens à tout cela. Là où ce choix des Jésuites est particulièrement pertinent, c’est par l’identification : cette histoire est vue par le prisme du regard de deux adolescents, liés par un serment plus fort que la mort.

Charpentier a composé peu d’opéras. David et Jonathas est donné un an après la mort de Lully. Hasard ou non ? Pouvez-vous nous dire en quoi l’approche de Charpentier diffère de celle de Lully sur la composition lyrique ? Qu’est-ce qui fait sa signature ?

S. D. : La rivalité entre Lully et Charpentier est probablement moins féroce que le veut la légende. En revanche, le despotique Lully exerce sur tous les compositeurs de son temps une emprise et un monopole qui les exclut de fait de la scène de l’opéra. Charpentier ne semble pas en avoir été si affecté, même s’il montre à travers toutes ses œuvres un profond attachement à la voix chantée. Pendant ces années, il expérimente beaucoup de formes de musique vocale, comme ses petits opéras (La Descente d’Orphée aux Enfers, Actéon) ou ses oratorios. Toutes ces expériences, destinées à contourner le monopole de Lully, l’amènent en réalité à développer un style d’une richesse incomparable. Partant d’un empêchement, d'une contrainte très forte, il en vient à se construire d’une manière très différente d’un Lully. En 1688, son David et Jonathas est donc un coup de tonnerre : depuis 15 ans que Lully monopolise la scène (et continuera après sa mort), le public n’avait jamais entendu une œuvre aussi nouvelle !

Ce que l’on sait de l'œuvre originale, c’est que la tragédie du Père Chamillard était a priori au service du narratif et l'opéra de Charpentier au service de la psychologie des personnages. Comment Charpentier s'y prend-il pour suggérer cela ?

S. D. : On connaît son titre (Saül) et son synopsis ; on sait qu’elle était en latin et jouée par les collégiens qui le parlaient tous couramment. Si elle raconte le même épisode de la Bible, on suppose qu’elle est composée d’après le point de vue de Saül, alors que le livret de Charpentier est surtout articulé à partir du point de vue de David et Jonathas. S’il ne « manque » rien au livret de l’opéra, on peut supposer que la pièce de théâtre éclairait davantage l'histoire de tous les personnages, donnant à savoir d’où ils venaient, et comment s’était nouée cette tragédie. C’est vrai que le livret de Charpentier laisse beaucoup de place aux monologues : le compositeur se saisit donc de ces moments d’introspection pour offrir de grands airs accompagnés par l’orchestre, qu’il développe d’une façon magistrale et dont l’harmonie nous aide à sentir toute la densité du drame qui se joue.

Vous aimez confronter le répertoire baroque aux mises en scène contemporaines (Le Ballet royal de la nuit, Cupid and Death, Songs, Combattimento, la théorie du cygne noir). Qu'est-ce qui vous intéresse dans ces rencontres ?

S. D. : Une œuvre comme David et Jonathas est universelle, pas seulement parce que la musique est sublime, mais aussi par l’histoire qu’elle porte. Je ne cherche généralement ni la reconstitution de l’ancien – c’est une chimère : on n’aura jamais les moyens de faire la même chose qu’au XVIIe siècle, et le contexte ne se reconstituera jamais – ni la mise en scène qui force et réduit le livret à une transposition contemporaine. J’aime l’idée de confier une œuvre du répertoire à une sensibilité d’aujourd’hui, parce que ce regard continue de faire vivre et de nourrir l’œuvre originale, de la même manière que les musiciens lui redonnent vie à chaque fois qu’ils la jouent. Ce regard placé ainsi appelle le public à participer, à entrer dans l’œuvre d’une manière différente de celle qu’il attendait s’il connaissait déjà l’œuvre, et chacun peut y trouver un sens différent selon d’où il vient. Avec tous les metteurs en scène avec lesquels Correspondances a monté ses premiers spectacles scéniques, j’ai travaillé de manière totalement différente mais j’ai été très heureux de chacune de ces rencontres et du travail qu’elles ont occasionné.

Propos recueillis par le théâtre de Caen

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