Aller au contenu principal

Saison 2023-2024

Saison 2023-2024 | Opéra national de Lorraine
Découvrez notre saison
Téléchargez la brochure de saison
De quoi héritons-nous ?

Nous venons tard dans un monde ancien. Aussi revient-il à chaque génération de prendre sa part de l’Histoire qui l’a précédée. Ce passé que nous avons en commun, cette Histoire qui nous réunit ou qui nous sépare, ce lien qui nous relie aux autres et à nous-même constituent notre héritage. Nous entretenons avec lui des rapports complexes, contradictoires, parfois conflictuels. Il fait partie de nous à notre corps défendant. Le choix des œuvres que nous programmons n’est pas dicté par un thème. Mais je crois aux fils qui se tissent – de manière visible ou invisible, consciente ou inconsciente – entre les différents spectacles de ce vaste puzzle que nous appelons « saison ». Et force est de constater qu’ils sont nombreux à poser cette question de l’héritage.

Notre présent est le résultat direct des choix qu’ont faits ceux qui nous ont précédés : les cartes, les planisphères, les frontières entre les nations tout comme les relations géopolitiques entre les peuples ont été façonnés par les conflits passés. C’est ce que Mozart nous donne à voir dans Idoménée, qui prend place dans les ruines de la Guerre de Troie : le roi de Crète fait partie du camp des vainqueurs mais il est poursuivi par le spectre de ce conflit qui a marqué la fin d’un monde. Face à ce passé qui pèse sur le présent, une nouvelle génération représentée par le prince Idamante et la Troyenne Ilia doit choisir : perpétuer l’Histoire en répétant ses traumatismes ou, au contraire, briser le cercle de la violence au profit de la paix et de la tolérance. C’est ce chemin qu’emprunte Idamante en libérant les prisonniers troyens, ouvrant la voie à une possible réparation : chez Mozart, la jeunesse triomphe des inimitiés de l’ancien monde.

Il en va de même pour David et Jonathas, dont les sentiments transcendent la bataille sans merci que se livrent leurs camps respectifs – Israélites et Philistins – tout comme l’amour de Roméo et Juliette dépasse la haine réciproque que se portent les Capulet et les Montaigu. C’est encore le cas, dans un tout autre registre, d’Ernesto, prêt à renoncer au capital financier de son oncle Don Pasquale pour épouser la belle et désargentée Norina. Parfois, les relations entre présent et passé sont placées sous le signe de la défiance : le lien est rompu, ouvrant la voie au révisionnisme. Nous basculons alors dans l’ère des fake news et de la désinformation. C’est à cette tendance actuelle que réagit le metteur en scène Kevin Barz : s’emparant de La Création de Haydn, il relit la Genèse au prisme de nos connaissances scientifiques sur l’univers. Il arrive enfin que le passé empoisonne le présent et ce sont les périodes les plus noires de notre Histoire. Des artistes entrent alors en résistance. C’était hier Kurt Weill – dont l’iconoclaste Lac d’argent dénonce la résistible ascension d’Adolf Hitler - ou encore le compositeur tchèque Pavel Haas, mort à Auschwitz. C’est aujourd’hui l’Ukrainienne Victoria Polevá, dont l’œuvre prend – dans le contexte actuel – un sens politique.

La jeunesse du monde qui se lève et qui se révolte, nous l'avons placée au cœur de notre saison.

Depuis maintenant quatre saisons, nous avons fait le pari de faire débuter et d’accompagner une nouvelle génération d’artistes. Car notre héritage est aussi artistique : ce sont les œuvres du passé qui nous sont à la fois familières et étrangères et avec lesquelles nous tissons un dialogue à travers le temps. À cette nouvelle génération, il revient aujourd’hui de s’emparer de cet héritage, de le porter haut et de le transmettre tout en exprimant un regard fort et personnel. Parce que nous avons la conviction que ces artistes contribuent à ouvrir sur scène des imaginaires nouveaux. Sans doute les spectacles de metteurs en scène comme Ersan Mondtag ou Pınar Karabulut ne sont-ils pas le reflet fidèle du monde que nous habitons : ce sont des miroirs déformants. Mais l’image qu’ils nous tendent ne laisse pas de nous interroger : elle nous incite à poursuivre nos utopies en ces temps troublés.

Avec notre directrice musicale Marta Gardolińska, nous continuons de vous proposer un voyage symphonique à travers l’Europe, les époques et les courants artistiques. Vous connaissez maintenant le principe de ces concerts, le soin que nous mettons à rechercher un équilibre entre le plaisir de réentendre les chefs-d’œuvre que nous aimons et la beauté de la découverte d’émotions nouvelles : ces programmes où une symphonie de Mahler côtoie un Ange de Théodore Akimenko, génie post-romantique injustement oublié. Notre désir d’ouvrir l’Opéra aux quatre vents nous encourage à expérimenter des formes inédites : parmi ces spectacles pour toutes et pour tous, je vous invite à découvrir, au fil de ces pages, un projet Carmen « format paysage » qui ne devrait laisser personne indifférent, ou encore Bingo ! mené par le talentueux trio Musica Humana.

Notre maison est grande par l’ambition qu’elle porte, par la qualité et le talent des équipes qui la composent. En temps de crise, d’aucuns sont en proie à la tentation du backlash, du retour en arrière, du repli sur soi, sur un passé glorieux et fantasmé aux dépens de l’avenir, sur un Opéra-musée qui renoncerait à aller de l’avant. À l’Opéra national de Lorraine, nous entendons au contraire réaffirmer haut et fort les valeurs qui fondent notre projet commun : prendre appui sur le répertoire pour inviter le public à un voyage mêlant œuvres connues, méconnues et inconnues ; accompagner des artistes aux univers esthétiques forts et singuliers ; placer l’Opéra au cœur de nos préoccupations sociales et écologiques, le concevoir comme un réseau complexe de ramifications qui se développent horizontalement, créant des liens entre les individus sur la totalité du territoire.


Matthieu Dussouillez
Directeur général

Et aussi

Cookies

En continuant à naviguer sur ce site, vous acceptez l’utilisation de cookies. En savoir plus